C'est dans l'atelier de son père que François Mathurin fut élevé et où il s'initia au travail du bois et à la construction des barques dans le milieu passionnant des marins et de leurs aventures rapportées de leurs voyages . À dix ans, sachant tout juste lire, écrire et compter, son père l'engagea comme petit mousse à bord d'un caboteur" l'industrie" qui faisait la navette entre les ports bretons et les ports anglais pour les échanges commerciaux. "les voyages forment la jeunesse" dit-on. Pour François Mathurin ce proverbe s'avéra particulièrement vrai. Car sa vie fut une extraordinaire réussite ...
L'architecture des bateaux le passionnait et il arrivait à résoudre certains problèmes de construction sans bases de géométrie qu'on ne lui avait pas enseignées. Mais il avait beaucoup appris dans l'atelier de son père et sa dextérité était innée ..
À dix-sept ans, il réussit à fabriquer une frégate avec tout son gréement modèle réduit de 2 m de long, parfaitement proportionné, qui fut reconnu comme petit chef-d'oeuvre de construction par les membres du conseil général des côtes du Nord devant lesquels il fut présenté. Il reçut, avec les félicitations de ce jury de personnalités, une mention très honorable : "pour l'encourager à persévérer dans une carrière de constructeur où il pourrait se distinguer".
Entre dix-sept et vingt ans le rayon d'action de ses voyages augmenta avec la navigation au long cours qu'il pratiqua. Son bagage technique ne cessa de s'enrichir car il était intelligent et observateur : en escale dans les ports où son bateau mouillait, ses visites étaient toujours pour les chantiers de construction navale pour enregistrer les méthodes de travail qu'il ignorait.
À vingt ans, inscrit maritime, il fit obligatoirement son temps de service à bord d'un navire de guerre "la Sarcelle "(commandant Charles Ferré ) et se trouva en orient à l'époque de la guerre de CRIMEE. Sa bonne conduite de marin, ses aptitudes inouïes de dessinateur et de concepteur étonnèrent ses chefs. Stupéfaits de ses dons naturels, les officiers du bord lui inculquèrent les notions de mathématiques qui lui manquaient pour atteindre à une maîtrise certaine de son art naissant.
Il était aussi un gabier de première ordre et savait, sans erreur, à longue distance, identifier la nationalité des navires qu'il croisait : tantôt une barque américaine à l'harmonie de sa mâture et de ses vergues, tantôt un bateau espagnol à sa coque profonde et à l'inclinaison particulière de sa mâture. Quant aux navires anglais, il les reconnaissait sans hésitation pour les avoir approchés de très près depuis son enfance.
Travaillant à bord à côté du maître Charpentier qu'il émerveillait par son savoir faire, on l'avait appelé " l'architecte" : en relâche à Tahiti, n'avait -il pas construit en un temps record quelques chaloupes pour remplacer celles qui avaient été enlevées du bord par des vagues déferlantes lors d'une tempête ? ... En 1854, il fit mieux encore : Il récupéra la chaloupe " L'aventure "après son naufrage, la ramena à Nouméa où il la transforma en petite goélette pour le service hydrographique de l'ingénieur Bréguet.
Il avait alors vingt-trois ans et terminait son temps légal de service dans la marine Nationale (vingt-quatre mois ). Son commandant le supplia, en vain de signer un engagement pour le conserver à son bord. Mais François -Mathurin Gautier brûlait d'envie de donner libre cours à sa passion de construire et d'innover dans un chantier naval bien outillé.
Il rentra chez son père à Dahouët, précédé d'une grande réputation, à la fois pour son savoir-faire de charpentier de marine et sa brillante conduite dans la marine: il rapportait 24 médailles d'argent ou de bronze qui lui avaient été attribuées pour les nombreux sauvetages auxquels il avait participé .
Aussi ravit-il monsieur Gaillard, entrepreneur général de construction navale, installé à Dinard-Saint-Enogat lorsqu'il accepta le poste de contre-maître charpentier-menuisier qui lui avait été proposé dans cette entreprise , en 1855.
Quelques années plus tard, il épousait la fille de son patron, Joséphine, dont il aura 12 enfants.
A la mort de son beau-père, en 1868, la direction de l'entreprise (qu'il assumait déjà pratiquement) devint effective et entière.
Mais l'occasion d'une autre promotion lui fut offerte: monsieur DANDIN, grand constructeur de navires à Saint-Malo (5 cales de lancement) cherchait pour la direction de son entreprise un collaborateur jeune et expérimenté, plein d'initiative et de compétence, pour lui succéder.
François-Mathurin fut préssenti. Aprés bien des hésitations , il accepta de devenir l'architecte naval de cette grande entreprise menant de pair la direction des travaux et les études techniques.
Travailleur infatigable, il construisit sur les cales de Moka (Avenue Louis Martin ), une moyenne de six à sept navires par an, avec une équipe de 60 à 80 ouvriers: charpentiers, menuisiers , scieurs de long , mâturiers, traceurs , chevilleurs et calfats. Ces derniers venaient de l'autre côté de l'estuaire , de la Richardais, de Pleurtuit, de Plouer-Sur-Rance. C'étaient des spécialistes précieux pour assurer la parfaite étanchéité des voiliers;
En 1892, le bilan des constructions de François-Mathurin Gautier était impressionnant: 140 beaux navires, depuis les Terre-Neuvas et autres fines goêlettes destinées à la grande pêche sur le Grand Banc ou en Islande, jusqu'aux longs-courriers qui pouvaient faire le tour du monde et affronter les tempêtes du Cap-Horn. Il "sortait" aussi pour les missions de sauvetage des "oeuvres de la mer" de solides bateaux insubmersibles ainsi que ceux destinés aux excursions dans les eaux de la région malouine.
IL construisit même des vapeurs appelés communément patrouilleurs comme "le Saint-Malo et le Duguay-Trouin".
Ses chantiers avaient acquis une solide réputation et le carnet de commandes avait toujours été bien garni . Ils connurent seulement une semi -léthargie pendant la guerre de 1870-71, lorsque beaucoup d'ouvriers furent mobilisés. Heureusement cette mauvaise période, où "l'herbe a poussé plus vite sur les chantiers que les coques des navires" fut de courte durée.
En 1892 , l'un de ses fils Gustave, se maria et voulut s'établir à son propre compte. Son père l'encouragea. En effet, de jeunes armateurs incités par la reprise rémunératrice des pêches à Terre-Neuve et en Islande, passèrent des commandes de goêlettes telles, que les deux entreprises, se jouxtant, travaillèrent à plein.
Gustave avait réalisé au total en 1914 , soixante bateaux construits toujours dans le style Gautier d'élégance et de solidité .
Pendant cette même période, l'entreprise paternelle se remodela aussi . En 1905, la société des chantiers de construction navale" Edmond et Joseph Gautier frères " vit le jour; l'un s'occupait essentiellement des achats et des comptes, l'autre des plans et des études avec la collaboration technique du père qui avait alors 63 ans.
Mais le grand chef-d'oeuvre de la fin de la vie de F.M.Gautier avec l'aide de ses fils qui avaient le même feu sacré que leur père dans ce domaine artisanal, fut la construction trés spéciale,quant à ses membrures renforcées, du "Pourquoi-Pas" , voilier destiné aux expéditions lointaines dans les mers glacées de l'Arctique. et que commanda l'illustre J_B Charcot .
Ce beau navire , construit en 1907 , disparut en mer au cours d'une soudaine et terrible tempête en mer d'Islande, au large de Reykjavik ,à 2 miles des côtes , le 16 septembre 1936 .( Il construisit aussi avant " Le Français " qui navigua dans les mers du Sud ...)
Le Pourquoi-Pas qui avait eu ses mâts brisés, des embarcations et des hommes emportés , toucha plusieurs fois des écueils , avant de s'ouvrir et de sombrer.
On ne retrouva que des épaves et un certain nombre de corps dont celui de Charcot . Sur 44 hommes un seul fut sauvé : le maître timonier Le Gonidec , par un jeune Islandais
Les Chantiers Gautier Père et Fils lancent jusqu’à 5 à 6 navires par an dont un grand Yacht de 32 m ( pour le compte du Marquis de Montaigu ), qui monté en membrures , a eu après sa mise à l’eau , une destinée toute autre que celle de la plaisance et fut converti en trois-mâts terre-neuvier de grande pêche, acquis par la société “La Morue Française” et naviguant sous le nom de “Caroline IV”, très beau navire qui fit de nombreuses campagnes au Banc et disparut je crois dans les années 1930 / 31 ---
Entre les années 1908 et 1914 ,( l’année de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France ) 38 navires de moyen tonnage dont les trois-mats : Gagne Petit , St Suliac, Reine d’Arvor, La Providence, St Jacques, St Mathurin, Carioca, Nominoë, Notre Dame des Flots, Margared, Lamotte-Picquet , les goëlettes Forbin et Marie-Pauline etc..... furent lancés sur les chantiers .
En Août 1914 , trois navires étaient en construction : les trois-mats qui furent baptisés Général-Gallieni et La Victoire qui fut lancé le 15 Juillet 1916 , tout mâté , avec ses vergues et tout son gréement ainsi que le dundee chalutier “La Sarcelle” ....
Pendant les années 14-15-16 - l’activité des chantiers Joseph et Edmond Gautier ainsi que ceux de Gustave, fut réduite en raison de la mobilisation des ouvriers...
François-Mathurin Gautier mourut à Saint-Malo le 29-06-1918 , il avait 87 ans......